Ci-gît la liberté d’expression ?

Le 7 janvier dernier, cinq ans s’étaient écoulés depuis que Saïd et Chérif Kouachi avaient assassiné douze personnes, dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo, pour punir les auteurs de caricatures de Mahomet. Un grand mouvement populaire, autour de l’expression « Je suis Charlie », s’en était suivi afin de clamer l’attachement à la liberté d’expression. Cinq ans après, où en est-on ? Depuis début janvier déjà, plusieurs événements ont prouvé que, malgré ces horreurs, défendre la liberté d’expression n’est toujours pas si simple dans notre pays.

 

Pas de liberté pour les ennemis de la liberté

« La société progressera à condition de respecter la paternité », « à condition de respecter la maternité », « à condition de respecter la vie ». Voilà les slogans placardés dans les gares parisiennes qui ont fait bondir nos belles âmes si promptes à défendre le Bien et le Vrai. La campagne d’affichage est celle du mouvement conservateur Alliance Vita, et a pour thème principal la loi de bioéthique alors en examen au Sénat (et approuvée malgré une majorité de « droite ») et qui consiste essentiellement à ouvrir la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules[1].

Madame le prévôt des marchands de Paris, notre bien-aimée Anne Hidalgo, s’est fendue d’un tweet qui faisait part de son indignation devant l’expression d’idées qui avaient l’audace de n’être pas les siennes : « Je suis profondément choquée et indignée par cette campagne anti-IVG et anti-PMA à la Gare du Nord et dans plusieurs autres lieux de la capitale. Je demande à ExterionMediaFR et Mediatransportsque ces affiches soient retirées immédiatement. » Mediatransports, le groupe en charge des affichages de la SNCF et de la RATP, s’est alors exécuté, n’épargnant que l’affiche évoquant le « respect de la différence » et représentant un enfant handicapé. Elle évoque le « principe de neutralité », ce à quoi Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, répond que ce principe n’est déjà pas respecté puisqu’on trouve dans les gares des affiches prônant le végétarisme et que celles qui sont destinées à vendre tel ou tel produit ne sont pas neutres à proprement parler. Le tribunal de Paris lui donne finalement raison, puisqu’il demande à la régie de rétablir l’affichage. La réaction d’Hidalgo montre bien que ce n’est pas tant la neutralité de l’affichage qui la chiffonne, mais bien les idées qui y sont exprimées en elles-mêmes : « Très grand étonnement face à cette décision de référé ordonnant la poursuite de la campagne anti-PMA et anti-IVG. J’encourage Mediatransports à user de toutes les voies de droit possibles pour qu’il soit mis définitivement fin à cette campagne. »

Comme avec le délit d’entrave à l’IVG, on justifie la réduction des libertés par une autre liberté, celle d’avorter, qui serait menacée par la simple expression d’une opinion différente. Il fut surprenant et effrayant de voir la manière dont fut traité Tugdual Derville sur le plateau de « l’Heure des pros » du 6 janvier, soit la veille des commémorations, quand il se retrouva seul contre tous, avec un Gilles Verdez qui prouva une fois encore ses indéniables qualités journalistiques en « démasquant » l’odieux opposant à l’avortement qu’est le délégué général d’Alliance Vita, et surtout la représentante de Charlie Hebdo Marika Bret qui déclara, en parlant de la liberté revendiquée par M. Derville de faire cette campagne : « La liberté d’expression et l’esprit Charlie tel que vous le nommez, c’est absolument pas ça […]. C’était des gens qui défendaient des principes et des valeurs, et dans ces valeurs, effectivement par exemple, l’égalité femme-homme, par exemple, hein. Ce sont des gens qui étaient laïcs, qui étaient féministes, etc., etc. Donc je veux bien qu’on ne les compare pas avec tout et n’importe quoi, vraiment ! » Nous avons donc appris ce soir-là qu’être Charlie, ce n’était pas défendre la liberté d’expression, mais défendre la liberté d’expression d’opinions qui ne soient pas contraires à celles de Charlie Hebdo. Aberrant.

 

À Lille, certains invités moins « souhaitables » que d’autres

Un peu plus tard, c’est le directeur de rédaction de Valeurs actuelles, Geoffroy Lejeune, qui a fait les frais de la Police de la Pensée du camp du Bien. Celui-ci devait débattre à l’IEP de Lille face à Charles Consigny, sur le thème « À droite, où en sont les idées ? », le but étant que ces deux figures de deux droites assez dissemblables discutent de ce qu’est, justement, la droite.

Ceux qui suivent notre actualité savent combien les syndicats gauchistes en veulent à quiconque est trop « facho » à leurs yeux, en particulier Solidaires, qui a pu nous ressortir le coup des « heures les plus sombres » dans cet antre du progressisme éclairé et inclusif·ve qu’est Sciences Po Lille :

« Nous ne pouvons pas laisser ces discours discriminants, dangereux et opposés à toutes les valeurs que l’école prétend défendre être étalés de la sorte. Nous demandons à l’Arène de l’IEP et à la direction de Sciences Po Lille de prendre ses responsabilités pour que cette conférence n’ait pas lieu. »

Finalement, le directeur, Philippe Mathiot, décide donc d’annuler le débat :

« J’ai fait savoir aux organisateurs que si le thème de la conférence et le déroulé qui en était prévu, notamment la présence d’un enseignant-chercheur comme modérateur, correspondaient à mes attentes, en revanche la participation de l’un des invités ne m’apparaissait pas souhaitable »

puis

« Il ne s’agit pas pour moi de juger ou d’évaluer les idées de cette personne, mais simplement de partir d’un constat : le journal pour lequel il travaille a été condamné en 2015 pour des faits particulièrement graves après la publication d’un dossier dont il avait été l’un des auteurs. »

M. Lejeune est ainsi interdit de s’exprimer pour avoir participé à un dossier (« Roms l’overdose ») qui a valu une condamnation, non pas de lui, mais du directeur de la publication de l’époque, Yves de Kerdrel – condamnation dont le rapport à la liberté d’expression semble d’ailleurs contestable.

L’IEP aura probablement eu peur également, et à raison, de violences perpétrées à l’occasion de ce débat par nos amis les « antifas ». Qu’un petit groupe d’activistes violents puisse faire la loi est déjà insupportable. Que la direction de l’établissement cherche à justifier autrement la censure d’un journaliste de droite est peut-être pire encore ! Car s’il est un fait admis que les syndicats d’extrême gauche n’aiment pas la liberté d’expression, le pire est bien cette autocensure pour éviter de blesser, de froisser, de choquer, cette soumission à la bien-pensance, raser les murs, ne pas faire de vagues.

À côté de ça, le 25 septembre dernier, monsieur le procureur général de la pensée droitière, Edwy Plenel, n’a eu aucun mal à donner une conférence dans ce même IEP lillois. Manifestement, avoir défendu « inconditionnellement » les militants d’une organisation terroriste qui venait d’assassiner onze athlètes israéliens[2]est moins grave et moins ostracisant que d’être de droite.

 

L’affaire Mila : la grande gêne de la gauche islamophile

Mais dans les dernières semaines, une toute autre affaire a enflammé les médias, une affaire qui rappelle amèrement celle de Charlie Hebdo bien que les suites en aient été, du moins jusqu’à aujourd’hui, heureusement moins dramatiques.

Il s’agit de celle Mila, jeune lycéenne de 16 ans qui, dans une vidéo, après avoir été insultée par des individus sur le net qui ponctuaient machinalement leurs phrases de « Inch’Allah », s’en est prise à l’islam, déclarant notamment : « le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans », ou encore : « l’islam c’est de la merde ». Elle reçut alors une pluie d’insultes et de menaces de mort de la part de musulmans qui comptaient paradoxalement (?) lui donner tort de cette manière. En danger, elle ne peut même plus se rendre à son lycée.

Bien heureusement, un certain soutien s’est formé, notamment sur Twitter avec le hashtag #JeSuisMila, sur le modèle du #JeSuisCharlie post-attentat. Néanmoins, l’absence de réaction de la part d’une bonne partie de la gauche islamophile en dit long sur leur attachement à la liberté d’expression quand il s’agit de critiquer la religion de l’Autre, forcément toujours bon et toujours opprimé. Mais si l’on n’attendait pas grand’chose de cette gauche-là, bien plus inquiétante est la réaction d’Abdallah Zekri[3], délégué général du Conseil français du culte musulman (CFCM) :

« Cette fille, elle sait ce qu’elle a dit. Elle a pris ses responsabilités. Qu’elle critique les religions, je suis d’accord, mais d’insulter et tout ce qui s’ensuit… Maintenant, elle assume les conséquences de ce qu’elle a dit. »

Il considère que dans le cas de Mila, ce n’est pas de la liberté d’expression, mais de la « provocation ». M. Zekri ne semble pas avoir compris que la liberté d’expression, c’est aussi la liberté de provoquer. Il peut tout à fait dire qu’il n’a pas apprécié ces propos, les trouver irrespectueux, appeler à davantage de respect pour sa foi – sans que ce soit une obligation légale –, mais ce discours du « elle l’a bien cherché, elle savait ce qui l’attendait » (on le rappelle : des menaces de mort et autres insultes parfois homophobes) est du même acabit et du même niveau que le discours de ceux qui considèrent qu’une victime de viol l’a cherché car elle se promenait seule la nuit ou n’était pas assez « habillée ». Ce fatalisme, quand il est exprimé par des non-musulmans, « elle a été bête, elle savait ce qui l’attendait », est peut-être pire encore, puisque c’est une forme de capitulation devant la menace que représente dans notre propre pays l’islam politique.

Le comble : le parquet de Vienne ouvre alors à l’encontre de la jeune fille une procédure pour « provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes, à raison de leur appartenance à une race ou une religion déterminée ». Plus grave encore que les sorties individuelles des uns et des autres, c’est la Justice même qui doute que, dans notre pays, l’on puisse critiquer, même violemment, une religion. En critiquant le communisme, est-on soupçonné d’inciter à la haine à l’égard des trois derniers adhérents du PCF ? Fort heureusement, la procédure fut classée sans suite.

Certains auraient peut-être mieux fait de ne pas s’exprimer sur cette affaire. Édouard Louis, écrivain très-progressiste devant l’Éternel, devant les yeux amoureux de Mouloud Achour :

« la liberté, le progrès, c’est qu’il y a des choses qu’on ne peut pas dire ».

Ségolène Royal : « il ne faut surtout pas ériger une adolescente qui manque de respect en parangon de la liberté d’expression ». Nicole Belloubet, garde des Sceaux : « l’insulte à la religion est une atteinte à la liberté de conscience », propos qu’elle qualifiera ensuite d’« inexacts », ce qui est encore une farce puisqu’ils sont faux d’un point de vue juridique et inadmissibles lorsqu’on est attaché à la liberté d’expression.

Mais sans s’attacher plus longtemps à l’énième bourde d’un ministre macronien, revenons sur les propos de notre Ambassadrice des pôles : doit-on faire de Mila un parangon de la liberté d’expression ? Son cas est différent de celui de Charlie Hebdo dans la mesure où ces journalistes ont volontairement pris des risques en publiant ces caricatures. Qu’on apprécie ou pas la ligne de ce journal, il peut constituer ainsi un symbole de la liberté d’expression. Mila, elle, n’avait nulle intention de devenir un tel symbole. Elle n’a fait qu’user d’un droit, d’une manière certes maladroite, tout à fait critiquable, que la liberté d’expression elle-même autorise pleinement à critiquer, mais c’était son droit. C’est en cela que Mila est devenue une forme de symbole de la liberté d’expression, ou plutôt que l’affaire qui lui est liée, les insultes qu’elle a reçues et les réactions qu’elle a suscitées, sont devenues une illustration de l’incompréhension de beaucoup de ce qu’est la liberté d’expression. Un récent sondage montrant que 50% des Français seraient défavorables au « droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux » est de ce point de vue éloquent, et montre peut-être, du moins on l’espère, davantage une incompréhension de ce qu’est la liberté d’expression qu’une véritable opposition à ce droit.

L’attachement à la liberté d’expression n’est jamais mieux illustré que lorsqu’est défendue celle de son ennemi. Chacun sera capable de défendre la libre expression de ses propres opinions, d’opinions proches, ou avec lesquelles il est en désaccord mais sans que ce désaccord soit fondamental. Les chrétiens, les musulmans, les juifs, les militaires, les électeurs RN ou les gens de droite en général, qui ont souvent pu se sentir insultés par Charlie Hebdo, ceux d’entre eux qui ont « été Charlie » ont ainsi prouvé leur attachement à la liberté d’expression. M. Zekri ou bien d’autres auraient également pu le prouver à cette occasion.

La liberté d’expression n’est pas, n’a jamais été et ne doit jamais être la liberté de ne tenir que des propos consensuels et n’a jamais exclu la liberté de provoquer, de choquer, de manquer de respect. Si bien sûr on peut en appeler dans certains cas à la décence commune, si la liberté de critiquer n’est pas une obligation de critiquer, a fortioride manquer de respect, la loi doit s’en tenir ici à garantir la liberté de s’exprimer comme bon nous semble, et non censurer ce qui ne plaît pas à l’esprit du temps ou à telle minorité. Ce n’est pas là une nouvelle dérive moderne, mais bien une liberté ancrée dans l’esprit français, voire européen, où dès l’Antiquité les poètes satiriques n’y manquaient pas. La dérive moderne est bien plutôt, sinon dans la volonté de censurer par la loi, du moins dans l’autocensure couarde, dans la peur de choquer, dans le safe space, dans cette prétendue modération dans le propos qui n’est qu’une castration de la pensée.

[1]https://cocardeetudiante.com/articles/la-pma-pour-toutes-ou-le-progres-devenu-fou/

[2]https://www.liberation.fr/checknews/2018/04/04/en-1972-dans-la-revue-rouge-edwy-plenel-a-t-il-vraiment-declare-etre-solidaire-des-terroristes-des-j_1653472

[3]https://www.marianne.net/societe/mila-harcelee-pour-avoir-critique-l-islam-elle-l-cherche-elle-assume-estime-le-delegue

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