Julie Graziani, ou l’individualisme sans-gêne

Il y a quelques jours, Julie Graziani, alors éditorialiste à l’Incorrect, fit polémique par ses propos tenus sur LCI au sujet d’une femme seule, au SMIC, avec deux enfants à charge. Un peu plus tôt dans l’émission, David Pujadas passe deux extraits montrant des femmes s’adressant au président de la République. Dans l’un d’eux, une femme explique avoir du mal à s’en sortir avec son SMIC et ses deux enfants. Alors Mme Graziani de dire : « Qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au SMIC ? Est-ce qu’elle a bien travaillé à l’école ? Est-ce qu’elle a suivi des études ? Et puis si on est au SMIC, faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là. » Cette séquence a provoqué l’ire des réseaux sociaux et d’une large part du monde médiatique. Jacques de Guillebon a expliqué dans l’Incorrect ne pas être du même avis que sa collaboratrice, qui a fini, à force d’excuses plus ou moins maladroites sur Twitter et qui contribuaient à l’enfoncer un peu plus chaque jour, par être tout simplement écartée par le magazine qui affiche une ligne de droite sociale.

Il ne s’agit pas, bien entendu, pour La Cocarde d’appeler à la censure de Julie Graziani, ou de participer à une sorte de lynchage médiatique. Ces choses-là sont désagréables et sont des entraves au pluralisme des opinions. Mme Graziani a le droit de penser et de dire ce qu’elle veut. Néanmoins, que la défense de sa liberté d’expression ne nous mène pas forcément à une défense de ses opinions ! D’ailleurs, on ne prouve jamais mieux son attachement à la liberté d’expression que lorsqu’on défend celle de son adversaire. D’autre part, il ne faut pas non plus chercher absolument à la défendre sous prétexte qu’elle serait « de notre camp », tout d’abord parce qu’être de notre camp n’est pas une permission de dire n’importe quoi, ensuite parce qu’il est fort dubitable que cette dame soit, justement, de notre camp – nous y reviendrons.

Un paradigme individualiste et libéral

Pour mieux comprendre le propos de Julie Graziani, il faut regarder ce qu’elle dit un peu avant : selon elle, « ce n’est pas à l’État de s’occuper du pouvoir d’achat des gens, c’est à chacun de nous de s’occuper de notre propre pouvoir d’achat. » C’est partant de là qu’elle reprend les mots des deux femmes qui se sont exprimées face à Emmanuel Macron, afin de démontrer qu’elles sont « dans le paradigme de la réclamation », en blâmant le fait qu’elles se plaignent de leur sort sans se remettre en cause et sans, au fond, « se bouger ». Il ne faut donc pas réduire son propos à une banale critique de la déresponsabilisation des personnes en raison d’un État-providence trop présent, qui inciterait à préférer demeurer dans une relative modestie matérielle plutôt que de travailler plus afin d’avoir plus. Son propos est bien plus radical que cela : il est fondé sur des prémisses résolument libérales et individualistes. L’État n’a pas à s’occuper du pouvoir d’achat des gens, autrement dit l’État n’a pas à s’occuper du bien commun, l’État n’est là que pour ses fonctions régaliennes. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe dans notre société que des individus, qui sont en grande partie, voire intégralement, responsables de leur sort. D’où l’interrogation de Julie Graziani : « Mais à un moment donné, je connais pas son parcours de vie à cette dame, qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au SMIC ? » Car elle reconnaît facilement que cette dame ne peut pas s’en sortir avec un SMIC et deux enfants, elle ne l’accuse pas d’être une profiteuse qui mènerait une vie agréable alors que d’autres travaillent plus et gagnent moins. Mais elle se permet de se poser la question de son parcours personnel, de ce qu’elle a bien pu faire pour se retrouver là. La question n’est pas, pour elle, pourquoi une femme dans une telle situation ne peut s’en sortir, pourquoi elle paie une taxe d’habitation (ce qu’un libéral aurait d’ailleurs pu, avec raison, pointer du doigt), pour elle la question porte sur l’individu lui-même, pourquoi il s’est mis dans une telle situation, car elle postule que chaque individu est maître de son histoire et de sa situation.

On remerciera son interlocutrice lors de ce débat, qui lui rappelle que nous sommes dans une société, que nous ne sommes pas une somme d’individus atomisés, que nous dépendons tous d’un parcours. Mais, finalement, Mme Graziani est cohérente : elle qui se dit plutôt de la « droite thatchérienne », en effet, si elle suit l’opinion de ladite Thatcher, ne croit donc pas en la société, pense comme elle que « there is no such thing as society », qu’il n’y a rien de plus que des individus. Elle se fonde elle-même sur son histoire personnelle pour se justifier : elle aussi a connu des moments difficiles, elle ne vient pas d’un milieu aisé, mais elle a su s’en sortir. Il est même possible qu’il s’agisse pour elle d’une preuve que l’individu peut tout, que nul n’est fatalement retenu par son parcours personnel – mais il faut lui savoir gré de n’avoir pas utilisé ce genre de pseudo-argument, de story telling personnel, pendant le débat télévisé.

Ainsi la pensée de Julie Graziani, loin de n’être qu’une dénonciation de l’assistanat, d’un excès de déresponsabilisation, appelle à une surresponsabilisation, non pas de la personne (liée à autrui au sein d’une société), mais de l’individu, d’un individu atomisé. D’où la violence de son propos, entraînée aussi peut-être par le sentiment que d’autres n’en font pas autant qu’elle pour s’en sortir.

La porte-voix d’un libéral-conservatisme décomplexé

Le problème est que ce discours, cette vision du social, de l’individu, est encore partagée par une partie de la droite. Au Royaume-Uni, le conservatisme one-nation de Benjamin Disraeli a longtemps été la doctrine principale des Tories : il pensait que l’industrialisation pourrait mener à une séparation du peuple en deux « nations » distinctes, les riches et les pauvres, et qu’afin d’éviter cela il fallait absolument que l’État aide les classes populaires et que chacun soit convaincu d’avoir des devoirs envers autrui, soit le principe de la solidarité sociale. Mais l’arrivée de Thatcher a donné un coup à cette manière de penser. En France également, des gens, des « libéraux-conservateurs », voudraient qu’il ne soit pas question de société ou de communauté quand il s’agit d’argent, mais en appellent à la société et à son bien-être, au bien commun, quand il s’agit de mœurs.

Car la question du bien commun est au fond de ce débat. Un libéral, finalement, croit davantage en l’intérêt général qu’au bien commun : dans le premier cas, si la société s’enrichit et que beaucoup en profitent, c’est l’essentiel, peu importe que certains restent sur le bord de la route (et le marché, pour un libéral, remplit très bien cet objectif) ; dans le second, on ne peut laisser personne de côté, car la société entière souffre de ce que certains souffrent.

Julie Graziani est-elle donc vraiment « de notre camp » ? Ces principaux chevaux de bataille sont finalement le libéralisme économique et la lutte contre l’avortement. Cette droite libérale, même si elle est aussi conservatrice (ou se veut telle), oublieuse du peuple, qui néglige les combats trop « matérialistes » à son goût, pour le pouvoir d’achat, pour vivre décemment, qui méprise les devoirs que chacun a envers chacun dans toute société, le lien qui nous unit tous, cette droite-là n’est pas vraiment celle que nous apprécions.

Finalement, Thatcher, qui venait également d’un milieu modeste, comme Julie Graziani se sont faites les porte-parole d’une bourgeoisie conservatrice qui, au fond, cherche avant tout à défendre ses intérêts tout en se donnant bonne conscience en allant manifester une fois de temps en temps pour la famille ou pour la vie. Une bourgeoisie qui aime se convaincre qu’elle a mérité d’être là où elle est, car chacun est responsable de son sort. Une bourgeoisie qui a des convictions une fois de temps en temps, mais qui finit par voter Macron parce que, finalement, il ne défend pas si mal ses intérêts. Une bourgeoisie mentale qui pense n’avoir rien à faire avec le reste de la société, avec ces « salauds de pauvres » qui ne se bougent pas et ne font que réclamer, qui représente l’exact inverse de la mentalité aristocratique. Julie Graziani, avec son mépris affiché des « sans-dents », avec son dédain décomplexé envers les pauvres, est comme le symptôme de cette droite dont le principal but est qu’on ne touche surtout pas à son porte-monnaie.

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