L’Utopie ou la démocratie imaginaire

C’est en 1516 que Thomas More, philosophe, juriste anglais, publie son traité sur «la meilleure forme de gouvernement». Par le moyen d’un voyage imaginaire et philosophique sur l’île des Utopiens, cet humaniste nous propose une démocratie toute platonicienne, c’est-à-dire collectiviste. Le modèle mythique de l’utopie, inventé par More, est essentiellement lié à l’idée de Démocratie. On ne peut se passer de maîtriser cet outil politique, que l’on soit démocrate ou non.

Un isolat paradisiaque

La nature insulaire de l’Utopie peut s’expliquer simplement en ce que cette dernière représenterait métaphoriquement l’Angleterre (ses cinquante-quatre villes correspondant aux cinquante-trois comtés de l’Angleterre et du Pays de Galles en plus de Londres). Pourtant, sa situation imaginaire, en dessous de l’équateur, est bien plus proche des contrées dont les Grandes Découvertes cherchaient à percer les mystères. C’est évident, le choix de l’isolat naturel n’est pas une contingence satirique.

Thomas More, comme il se protège politiquement en camouflant son traité politique derrière la fiction, protège sa République en créant une île pour l’accueillir. Les abords de l’île sont fortifiés et «dangereux» du fait des rochers immergés. Les Utopiens ont besoin eux même d’un système de repérage à l’aide de pieux pour ne pas s’échouer et «si ces pieux étaient transplantés en divers autre lieux, ils pourraient facilement conduire à sa perte quelque grande flotte de navires ennemis qui y aborderaient. »

Avant même de nous révéler la forme de sa parfaite République, More nous la dépeint isolée et sécurisée – sans qu’elle fût pour autant repliée sur elle-même. Serait-il un précurseur du souverainisme ? Quoi qu’il en soit, même et peut-être surtout la plus pacifiste et la moins autoritaire des sociétés doit se donner les moyens de son autonomie.

Une démocratie éclairée

Chaque famille (toute famille comprenant quarante personnes) élit « un gouverneur pour soi ». Pour trente familles est élu (More de précise pas la nature du suffrage) un syphogrant (ou phylarque. Enfin, pour dix syphogrants il y a un tranibore.

La capitale, Amaurot accueille le Sénat. En effet, chaque ville élit tous les ans trois «bons vieillards bourgeois » députés. Les députés délibèrent sous le contrôle de deux syphogrants, différents chaque jour. Cependant, en cas d’affaire cruciale, une assemblée de syphogrants (considérés comme plus proches du peuple) est organisée pour formuler un avis populaire au Sénat.

Venons-en au Prince, car il est question d’au moins un Prince en Utopie. Thomas More s’attarde bien peu sur son rôle qui semble se limiter à un pouvoir judiciaire, assisté par un conseil composé des tranibores. Il est en tout cas élu à vie (sauf s’il dégénère en tyran), par les syphogrants, parmi quatre candidats (un par quartier) choisis par le peuple.

Aussi floue que soit la nature précise des électeurs (seulement les « chefs » de familles ?), on ne peut nier l’aspect démocratique du gouvernement utopien. Pour autant, n’importe qui ne peut pas être élu. Les syphogrants doivent être particulièrement instruits, et de manière générale il est attendu de tout élu (prêtres compris) la connaissance des lettres. More marie donc la démocratie à l’aristocratie, c’est-à-dire le gouvernement des meilleurs.

La république de l’Utopie est-elle centralisée ? Sur ce point, More reste flou. Il précise bien qu’Amaurot est la capitale, et qu’elle accueille le « parlement ». De plus, il n’est mentionné de Prince que celui d’Amaurot. Cependant, il écrit également que les villes utopiennes sont « toutes semblables », et il serait étrange que les habitants de la seule ville d’Amaurot choisissent le Prince de tout un peuple. Par ailleurs, Guillaume Navaud note dans sa traduction que « roi ou prince traduit le latin princeps qui désigne en fait plutôt ici le gouverneur de chaque ville. » On peut donc avancer qu’il existe une certaine décentralisation qu’il est difficile d’évaluer en raison de l’incertitude quant au rôle desdits gouvernements.

Le collectivisme comme principe social

À l’instar de la République de Platon, la république d’Utopie réprouve la propriété privée. Les moyens de productions, comme la plupart des biens sont collectifs et mis au service du collectif. Prenons l’exemple de l’agriculture : les « laboureurs » qui vivent donc en périphérie des villes n’exercent ce métier que pour deux ans. Au bout ces deux ans, s’effectue une rotation. Des familles en provenance de la ville viennent remplacer les familles aux champs.

En ville, l’immobilier constitue également un bien collectif. Les portes des maisons ne sont pas conçues pour être verrouillées. « Chacun entre par là qui veut : ainsi n’y a-t-il rien chez ce peuple qui soit propriété privée. » En outre, les maisons ne sont attribuées que pour dix ans, et par tirage au sort.

On connaît tous les mots que Voltaire met dans la bouche de Candide à la fin de sa célèbre satire: « il faut cultiver notre jardin ». Dans les villes utopiennes, les jardins sont collectifs (un par rue). Bien à l’abri entre les maisons, ces micro-édens sont foncièrement symboliques. Ils représentent les joyaux d’abondance et de sérénité qu’offrent la vie et le travail communs. Les Utopiens vont même jusqu’à organiser des concours bon enfant de la rue « qui a le mieux labouré et embelli son jardin ». Est-il nécessaire de préciser que les Utopiens mangent dans des salles communes ? Après une lecture morale, ces dîners collectifs prennent une forme qui oscille entre le repas familial et le souper monacal. Cette large commensalité est, avec les jardins, le cœur symbolique de l’ethos collectiviste.

Quant à la monnaie ? Les Utopiens ne l’emploient pas entre eux. S’ils l’utilisent dans leurs démarches diplomatiques et pour financer le mercenariat lorsque la guerre s’impose, leur mépris des richesses est si grand que les criminels réduits au servage « portent des anneaux d’or en leurs oreilles et en leurs doigts, au cou un carcan d’or, et des couronnes d’or autour de leur tête ».

Une société humaniste chrétienne

Nation d’encre et de papier, l’Utopie est avant tout un pays d’humanités. Elle doit son existence à la relecture de textes antiques et en particulier, bien sûr, des textes de Platon (La République, le Critias). D’ailleurs, Raphaël Hythlodée, l’explorateur imaginaire de l’Utopie, estime que « cette gent [les Utopiens] a pris son origine des Grecs, parce qu’en leur langue ils usent de certains termes grecs, comme aux noms de leurs villes et magistratures. » Rappelons trivialement que le nom d’Utopie est, comme la majorité du lexique de Thomas More, fabriqué à partir du grec (u-topos « en aucun lieu »). Peuple féru de lettres antiques et de contemplation de la Nature, les Utopiens reflètent l’idéal humaniste de la Renaissance. Mais ils sont plus encore, à l’image de Thomas More, un peuple d’humanistes chrétiens.

Est-ce à dire qu’ils sont littéralement chrétiens ? Pas vraiment. Les Utopiens prônent en effet la tolérance envers toutes les religions sans en favoriser une en particulier. Pour autant, et malgré que certains d’entre eux soient païens, la majorité tend vers le monothéisme, et beaucoup « se sont rangés à ladite secte chrétienne avec beaucoup d’affection ». Leur christianisme est philosophique. Il place l’humain au centre de la création divine et la Vie au-dessus de tout. Ainsi, les Utopiens privilégient le servage à la mise à mort des criminels, haïssent la guerre lorsqu’elle n’est pas nécessaire, et interdisent la chasse à courre qui fait souffrir les animaux. Ils ne vivent pas en ascètes, car leur hédonisme modéré encourage la volupté c’est-à-dire « tout mouvement et état du corps et de l’âme, où on prend plaisir par l’instinct de nature. » Néanmoins, une certaine morale les protège des excès du vice.

On se rapproche alors du sens que l’on donne aujourd’hui au mot humaniste. Bien sûr il y a eu entre-temps les Lumières et le travestissement de l’humain en individu. Évoluant parallèlement à l’humanisme et à l’amour hellénique de la nature, l’individualisme et le rationalisme ont sans doute connu leur apogée dans la Révolution française de 1789, anéantissant le « Grand Mouvement » chrétien que saluait Bernanos (La France contre les Robots).

Conclusion : (ré)apprenons le mythe !

Finalement, le fond de l’œuvre de Thomas More importe moins que sa forme : une critique du réel, mais formulée comme le reflet fantasmé d’un avenir meilleur. La démocratie communiste des Utopiens replace l’humain au sein d’un paradis terrestre. La création littéraire de cette Cité a valeur de contestation, et constitue une proposition révolutionnaire. Elle ne fournit pas de moyens, elle est un moyen. D’ailleurs, en notre monde de communication où la propagande n’est plus une affaire de logistique mais simplement d’intelligence, il est impératif que la droite sache à nouveau maîtriser son imaginaire.

Je ne crois pas comme Georges Sorel qu’il faille distinguer l’utopie du mythe. Il y a du mythique dans l’utopie comme il y a fatalement de l’utopique dans le mythe. En revanche, sa conception du mythe comme un « moyen d’agir sur le présent » (Sorel – Réflexions sur la violence) me paraît des plus pertinentes dans un contexte de combat politique.

De même que l’Histoire pure ne saurait constituer un socle commun viable, la Raison seule est inapte à engendrer l’action. Alors mobilisons nos âges d’or, écrivons nos avenirs utopiques, usons des esthétiques dynamiques de la Lutte et de la Volonté ! Amis, réapprenons le mythe !

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