L’hypocrisie « écolo » du gouvernement Les porte-paroles du gouvernement et les députés de la majorité n’ont de cesse de répéter que tout ce qu’ils font va dans le sens d’une « transition écologique », et qu’une telle ambition demande des « efforts » de la part de tous, pour le salut de la planète. Le peuple français, pris de « peur » devant une telle révolution, se crispe sur son diesel, et ne s’y résoudra qu’après une bonne cure de « pédagogie ». Cette hypocrisie est grossière, et il faut avoir bien peu d’estime pour les Français que de penser qu’ils auraient pu tomber dans le panneau. Incapables et réticents à l’idée de remettre en question un système global qui génère l’essentiel des pollutions et des dégâts sur l’environnement, Emmanuel Macron et son gouvernement rappent jusqu’à la chair les classes moyenne et populaire. La voiture et son carburant ne sont plus depuis longtemps un simple moyen de transport pour des activités sortant de l’ordinaire. Ils sont devenus, et l’on peut bien le regretter, inséparables de la vie quotidienne de ces Français qui les utilisent le matin pour partir au travail, le soir pour rentrer, « faire les courses », aller chercher leurs enfants, les emmener à telle ou telle activité. Ce que les Français ont bien compris, c’est que tant que subsiste un modèle économique et social, pour ne pas dire civilisationnel, qui les soumet à de telles contraintes, il est superficiel de vouloir se débarrasser du diesel. Les revendications des « gilets jaunes » (défense des commerces de proximité et des circuits-courts contre la grande distribution et les zones commerciales, par exemple) sont à ce titre bien plus cohérentes d’un point de vue écologique que la « transition énergétique » présentée par le gouvernement.
Que changerait un parc automobile « tout électrique » lorsque l’on sait que l’essentiel des pollutions provient du transport maritime, aérien, et surtout du modèle agro-industriel qui est le nôtre ? Même l’anecdotique confine à l’hypocrisie dans la Macronie : ainsi la baisse de la limitation de vitesse de 90 à 80km/h qui, en obligeant le conducteur à rouler en sous-régime entre la 4e et la 5e vitesse, fera consommer davantage de carburant… La grande manipulation « écologique » Le peuple n’a pas l’intention de se laisser avoir ainsi, et cela nos dirigeants et nos élites semblent l’avoir bien compris. Lorsque la pédagogie ne suffit plus, il demeure une arme miracle : la manipulation par la peur. Au Moyen Age, la peur eschatologique « tenait » la société dans une même crainte, celle de la fin des Temps, et l’orientait dans une même direction. L’Occident chrétien imaginait une fin du monde à partir du livre de l’Apocalypse. La violence avec laquelle cette fin devait se dérouler n’était cependant nullement incompatible avec une issue heureuse, car les Hommes justes devaient rejoindre le Royaume de Dieu pour l’éternité. Aujourd’hui la prophétie est celle d’une fin définitive, sans espoir de salut, pour quiconque ne suivrait pas les recommandations du clergé « écolo ». À coups de clips vidéo angoissants et de discours catastrophistes à la tribune des grandes conférences internationales, l’on culpabilise le citoyen ordinaire et on lui prédit voire lui souhaite la fin du Monde s’il continue à mener son train de vie.
En manipulant cette crainte, des dirigeants bien décidés à conserver voire à renforcer un modèle libéral et consumériste peuvent faire passer la moindre mesurette pour un pas vers l’Humanité verte et radieuse de demain, et condamner les « réacs » ou frileux de tout poil qui n’approuveraient pas ce grand bond en avant. Les « gilets jaunes » ont donc bien compris que les sacrifices qui leur sont demandés ne visent qu’à permettre au gouvernement d’appliquer une couche de peinture verte sur un vieux modèle grisonnant, et certainement pas de « sauver le monde » de la catastrophe annoncée. Ils ne sont pas dupes. Les 4 cavaliers de l’Apocalypse ? Forces de l’ordre montées, Paris, 1/12/2018, secteur saint Lazare. L’injustice, la vraie La cause profonde du soulèvement des « gilets jaunes » reste néanmoins l’injustice. Employé à toutes les sauces, ce terme finit par lasser, et l’on ne sait plus très bien ce qu’il recouvre exactement. Ce qui caractérise fondamentalement l’injustice, ce n’est pas le fait que certains gagnent plus que d’autres, mais que ceux qui gagnent le plus ne se sentent plus aucune obligation envers ceux qui gagnent moins. Il est frappant que dans notre société actuelle, plus l’on s’ « élève » en termes de statut social, moins l’on se sent de devoir à l’égard du reste de la communauté nationale. Et c’est cela qui, de l’inégalité, qui peut être légitime et nécessaire, conduit à l’injustice. Les inégalités ne sont pas à rejeter en soi, elles découlent des disparités naturelles parmi les hommes mais aussi de leur parcours de vie.
Il n’est pas possible ni souhaitable que la société soit égalitariste, que tout le monde soit au même niveau sans égard pour le talent, le travail fourni, la créativité, l’exceptionnalité de certains, etc. Or, les inégalités inhérentes à toute société humaine doivent contribuer au bien commun, à l’instar des notes de musique d’une mélodie qui sont disposées de telle sorte que le son produit soit harmonieux. Que toutes les notes soient identiques et la mélodie n’existe plus (égalitarisme), de même que si l’on ôte la communion qui les lie (libéralisme) nous n’obtenons qu’une cacophonie générale. Sans dérober la parole aux « gilets jaunes », nous pensons que c’est dans cette différence profonde entre injustice et inégalité « légitime » que se trouve une partie de la réponse à la fracture qui traverse notre pays. Les révoltés n’exigent pas de prendre la place des « élites », et certains disent d’ailleurs avec honnêteté qu’ils en seraient bien incapables. Ils veulent que nos pseudo-élites (re)deviennent de véritables élites, que l’inégalité soit mise au service de l’unité du corps social, que ceux d’ « en haut », justement parce qu’ils sont « en haut », se sentent investis d’une responsabilité majeure vis-à-vis de ceux d’ « en bas » plutôt que de pouvoir mieux faire sécession d’avec le peuple. Christopher Lasch, La révolte des élites et la crise de la démocratie, Paris,Flammarion, Champs essais, 2010, 270 p. La réponse à la rébellion des « gilets jaunes » devra donc être à la fois porteuse sur le court terme et le long terme.
À court terme mettre un terme à l’hypocrisie des mesurettes « écolos » qui ne sont qu’un prétexte pour faire les poches des Français. À long terme en finir avec cette « révolte des élites » si bien décrite par Christopher Lasch, et prendre l’écologie au sérieux en en faisant le cœur d’un projet porteur d’un changement radical du système actuel pour lui substituer un modèle durable. Une « révolution-conservatrice » en somme.