La tour de M. Eiffel, un symbole à nous réapproprier

Nous commémorons aujourd’hui la mort de celui qui est certainement le Français le plus célèbre de l’Histoire avec Napoléon. Gustave Eiffel est mort le 27 décembre 1923, alors que sa tour, depuis la fin de son chantier trente-quatre ans plus tôt, était toujours la plus haute construction jamais réalisée par l’Homme et la première à avoir atteint la limite légendaire des mille pieds. Tellement habitués depuis notre enfance à ce que le monde entier en fasse l’incarnation du pays, nous l’avons un peu abandonnée à sa dimension purement touristique. À nos yeux, la tour n’est plus l’incarnation de ce que nous sommes, mais plutôt l’image caricaturale que le reste du monde se fait de nous. Et s’il était temps pour les nationaux de redonner une dimension politique à ce symbole ? Et si, justement, le temps était venu de nous rappeler que ce symbole nous appartient à nous-mêmes avant d’appartenir au monde ? 

Rayonnement international et arrière-pensées politiques 

Dans les années 1880, la France subit encore le traumatisme de la défaite de 1870. La France est un pays traumatisé, diminué, et isolé. Car Bismarck ne s’est pas contenté de proclamer l’unité politique de l’Empire allemand dans la galerie des Glaces de Versailles, d’amputer le territoire de certaines de ses provinces … Il a aussi tissé une véritable toile d’araignée autour de la France : un système d’alliances, appelé les « systèmes bismarckiens », qui isolent la France sur le plan international et garantissent sa faiblesse. 

Sur le plan intérieur, les choses ne vont guère mieux. La IIIe République est un régime instable, fragile et régulièrement sapé par des scandales en tous genres, notamment financiers. L’attribution de l’Exposition universelle à Paris pour le Centenaire de la Révolution en 1889 est l’occasion attendue par les dirigeants de la IIIe République pour marquer un coup d’éclat international afin de ramener la France dans le concert des nations. 

Mais à côté de ses préoccupations extérieures, les dirigeants républicains, comme le ministre du Commerce et de l’Industrie Edouard Lockroy, sont aussi animés par des arrière-pensées politiques moins honorables. En effet, nous sommes à l’époque de la construction de la basilique du Sacré-Cœur, qui domine symboliquement la ville depuis la butte de Chaumont. Or, Lockroy, ancien communard et radical-socialiste, qui est aussi à la tête de l’organisation de l’Exposition universelle, a bien calculé que le projet d’une tour de mille pieds (300 mètres) permettrait de dépasser en hauteur la basilique du Sacré-Cœur. Un symbole laïc dépasserait le symbole religieux … Edouard Lockroy devient le principal soutien de Gustave Eiffel dans son projet.

Un projet mythique 

Depuis des millénaires, le mythe de la tour de Babel fait rêver les Hommes. Depuis très longtemps déjà, on rêve d’une tour qui toucherait le ciel en atteignant la hauteur mythique des 1000 pieds, soit un peu plus de 300 mètres. 

La Révolution industrielle offre ainsi des moyens techniques nouveaux qui semblent rendre possible ce projet fou. Alors, dans le monde entier, on cherche à l’atteindre. Ainsi, trois anglo-saxons ont déjà eu ce projet avant Eiffel, sans avoir pu le concrétiser. Dès 1832, l’industriel britannique Richard Trevithick, émet le projet d’une tour de mille pieds, mais ce projet ne se concrétisera jamais. Les américains Clarke et Reeves la reprennent en 1874 pour l’exposition universelle de 1876 à Philadelphie. Là encore, le projet n’aboutit pas. Ce que les Anglo-saxons n’ont pas réussi à faire, les Français doivent le faire. Un homme semble tout désigné pour relever ce défi. 

À l’âge de 26 ans seulement, Gustave Eiffel réalisait déjà le plus long pont d’Europe à Bordeaux, d’une longueur de 509 mètres, en 1858 (n’étant plus utilisé par la SNCF, cet ouvrage n’a été sauvé de la destruction que par l’intervention in extremis de l’UNESCO qui a permis de faire classer le site comme monument historique en 2010 …). L’ingénieur n’a cessé de multiplier les exploits techniques, comme le pont Maria Porta de Porto au Portugal (1877) ou le célèbre viaduc de Garabit dans le Cantal (1884), qui à l’époque de sa construction était le plus haut pont du monde… Il est aussi reconnu internationalement, avec le chantier de la cathédrale San Marcos au Pérou en 1875 (aujourd’hui au Chili), la halle métallique de la gare de l’Ouest de Budapest en Hongrie (1877), etc. 

Et bien évidemment, la réalisation de la structure de la statue de la Liberté. C’est d’ailleurs au pied de la statue, lors de la cérémonie d’inauguration, que Gustave Eiffel rencontre pour la première fois le ministre Edouard Lockroy, celui qui lui sera d’une aide primordiale pour faire triompher son projet. 

Eiffel, le « Murat de l’Industrie » 

Gustave Eiffel est d’autant plus engagé dans son projet que depuis 1885, c’est l’obélisque de Washington qui est le plus haut édifice du monde. Or, Eiffel a hérité de son père, un officier bonapartiste qui a servi l’Empereur et le Roi sous la Restauration, un ardent patriotisme. Un patriotisme d’autant plus affiché que la famille Eiffel doit, dans le contexte de l’esprit de Revanche au lendemain de 1870, porter le point de leur ascendance. En effet, la famille Eiffel a une lointaine origine allemande : en 1710, sous le règne de Louis XIV, l’ancêtre de la famille a quitté la région forestière de l’Eifel, dans l’Ouest de l’Allemagne pour venir s’installer à Paris. Il portait le nom de Bonickhausen, imprononçable pour les Français au point de se faire appeler « Eiffel », en référence à sa région d’origine mais en prenant le soin de franciser le nom en ajoutant un « f ». Officiellement, la famille porte le double nom de « Bonickhausen dit Eiffel ». Lorsqu’en 1875, un dessinateur mécontent d’avoir été licencié par Eiffel l’accuse publiquement d’être un traître au service de l’Allemagne, ce dernier porte plainte, le fait condamner et obtient de l’administration de ne plus porter que le seul nom de « Eiffel ».  

Alors, lorsqu’il s’agit désormais de bâtir la plus haute tour du monde pour damer le pion aux Anglo-saxons, la fibre patriotique de Gustave l’électrise. 

Avec le temps, il s’est détaché du bonapartisme de son père pour épouser les convictions républicaines de l’un de ses oncles, auquel il était très attaché. Plutôt de centre-gauche, Eiffel est sensible à la justice sociale et aux conditions de travail des ouvriers sur ses chantiers, chose plutôt rare à l’époque. Homme énergique, Eiffel est aussi sportif, boxeur, escrimeur et un excellent nageur. D’ailleurs, lors du chantier du pont ferroviaire de Bordeaux, Eiffel sauve l’un de ses ouvriers de la noyade en plongeant lui-même dans la Garonne. 

Il y a chez Eiffel, cette dimension très marquée du « capitaine d’industrie », de ces hommes qui étaient dans l’industrie (la vraie, pas la start-up à moitié fictive de l’ère macronienne) comme d’autres faisaient la guerre. Il y a du panache chez Eiffel comme il y en avait dans la charge de cavalerie de Murat à Eylau ou dans celle de Ney à Waterloo. Eiffel est une sorte de Murat de l’industrie. 

Comme un chef de guerre, Eiffel sait s’entourer d’un état-major de talents : Emile Nouguier, le fidèle second, commercial redoutable qui saura faire la publicité de la tour, Théophile Seyrig, à l’origine du système d’arc pour les viaducs construits par son patron, Maurice Koechlin, concepteur de la structure en acier de la statue de la Liberté et théoricien de la résistance des matériaux aux vents, l’architecte Sauvestre qui trouve la silhouette si particulière que prendra la tour, etc … Le génie d’Eiffel se manifeste dans sa capacité à distinguer les talents et de leur trouver les tâches dans lesquelles ils excelleront pour faire avancer ses propres projets. 

Un défi français 

Le chantier de la tour commence en janvier 1887, très tardivement. Eiffel parvient à résoudre de nombreux obstacles par des solutions originales et efficaces. Le creusement des fondations des deux piliers situés au bord de la Seine, dans un terrain gorgé d’eau, se fait grâce à un système de caissons à air sous pression. L’air renvoie l’eau dans le sol, ce qui permet aux ouvriers de creuser jusqu’à atteindre un sol plus dur, sur lequel les fondations peuvent être posées. Ce système avait déjà été utilisé par Eiffel pour creuser les fondations des piliers du viaduc Viana do Castelo au Portugal en 1878. 

L’autre grande difficulté du chantier, qui déterminait la réussite de tout le reste du projet, est la jonction des quatre piliers inclinés au niveau du premier étage en décembre 1887. Les pièces préfabriquées doivent pouvoir s’assembler parfaitement, ce qui se révèle très difficile du fait de l’inclinaison des piliers. Eiffel imagine alors un double système : d’un côté des vérins hydrauliques qui soulèvent les piliers et de l’autre des boîtes à sable qui permettent (en étant vidées très lentement) de régler l’inclinaison des piliers et de les ajuster le plus précisément possible aux poutres transversales. C’est la partie la plus délicate du chantier. Mais c’est une réussite : les pièces parviennent à s’assembler parfaitement. La construction des fondations et du premier étage est faite en une année seulement. Le reste du chantier arrive rapidement à sa fin sans rencontrer de problèmes majeurs. 

Avant même d’être achevée, elle dépasse l’obélisque de Washington et devient déjà le plus haut monument du monde. Le chantier avance si rapidement que les parisiens s’amusent à venir la photographier chaque semaine pour voir l’état d’avancement des travaux. La raison de cette rapidité ? L’originalité et l’efficacité des méthodes de construction de l’ingénieur : la tour est construite en pièces détachées préfabriquées dans les ateliers d’Eiffel à Levallois-Perret, puis acheminées sur le chantier. Ce système permet d’avoir très peu d’ouvriers sur le chantier et de réduire ainsi les risques d’accident mortel. Le nombre d’ouvrier travaillant sur place ne dépasse pas 250, à peine ! Ainsi, sur toute la durée de la construction, véritable exploit dans l’exploit, on ne compte qu’un seul mort parmi les ouvriers : un travailleur venu en dehors de ses heures de services, un dimanche, sans autorisation pour s’amuser sur les poutrelles devant sa fiancée … Eiffel indemnisera tout de même la veuve.  

Le 31 mars 1889, comme sur ses autres chantiers, Eiffel a tenu sa promesse de pouvoir faire inaugurer sa tour dans les délais. Pour construire la plus haute tour du monde, la première à atteindre la hauteur mythique des 1000 pieds, il aura fallu seulement 2 ans, 2 mois et 5 jours !  

Le 6 mai, c’est l’ouverture de l’Exposition universelle. 

Un « Austerlitz industriel » pour la France 

C’est un succès populaire considérable, la tour reçoit en six mois plus de deux millions de visiteurs. Eiffel rembourse ainsi complètement ses investissements. 

Elle est d’emblée perçue par l’opinion et le reste du monde comme une démonstration de l’excellence française. Le succès est international, avec de nombreux visiteurs prestigieux. Ainsi, les têtes couronnées du monde entier oublient bien volontiers qu’elle célèbre la Révolution et ne voit dans cet exploit qu’une expression du génie français. Eiffel peut accueillir et guider au sommet de sa tour le Tsar de Russie, les monarques de Grèce, de Suède, de Belgique, d’Espagne, d’Autriche, le prince de Galles (futur roi Edouard VII) et son épouse, et même la famille impériale du Japon ! D’autres visiteurs prestigieux viennent se faire visiter la tour par Eiffel lui-même et signer le livre d’or : Buffalo Bill, Sarah Bernhardt, Thomas Edison, etc. 

Conséquence logique, ce succès n’est pas sans déclencher une féroce jalousie dans le monde anglo-saxon. En Grande-Bretagne d’abord, pays de la Révolution industrielle, qui supporte mal de s’être fait dépasser par la France ! Le capitaine d’industrie Sir Edward Watkin, un richissime magnat des chemins de fer, veut dépasser la tour de Paris pour en construire une plus haute dans un immense parc de loisirs près de Londres. Il propose à Eiffel de s’occuper de ce projet, mais ce dernier voit bien la fourberie et comprend qu’au final tout le prestige irait à la Grande-Bretagne. Il refuse donc, en invoquant ses convictions patriotiques … Watkin, tenace comme un Anglais sait l’être, parvient cependant à faire démarrer le projet. Mais il faut trois années pour achever le premier étage de sa tour, soit plus de temps qu’Eiffel n’en a mis pour construire l’ensemble de sa tour (deux ans et deux mois) …  De plus, la construction de la tour anglaise coûte bien plus cher que sa rivale française, mieux gérée par Eiffel. Watkin est obligé d’interrompre le projet. Un autre problème, bien plus grave, vient compromettre tout le chantier : la base de la tour s’est subitement mise à pencher. Contrairement à Eiffel, Watkin avait négligé d’étudier la nature du terrain et d’y construire des fondations adéquates … Le projet doit être définitivement abandonné, ce qui a été construit de la tour dynamité … La tour est ridiculisée et la presse anglaise parle de la « folie Watkin » ! Échec et mat pour les Anglais. À la place de la tour sera construit le célèbre stade de Wembley.  

C’est au tour des Américains de manifester une jalousie tout aussi féroce. La jeune Amérique, très industrielle, ne supporte pas d’être dépassée par la vieille France. La ville de Chicago est alors la ville qui apporte la révolution architecturale des gratte-ciels. En 1893, c’est cette ville qui organise une exposition universelle et les Américains veulent saisir l’occasion pour dépasser l’exploit français. Cette fois encore, Eiffel est approché pour concevoir cette construction. Contrairement à la proposition anglaise, il ne semble pas être hostile envers celles des Américains, bien au contraire, il se considère prêt à relever le défi d’une tour encore plus haute. Mais cette fois, ce sont les Américains qui rejettent finalement l’ingénieur français : ils veulent un Américain pour réaliser ce projet et dépasser la France ! Pourtant, les Américains feront encore moins bien que les Anglais, en ne réussissant même pas à concrétiser leur projet, qui ne verra jamais le début du commencement d’une réalisation …  La tour d’Eiffel est un triomphe français absolu perçu avec exaspération par les nations rivales. 

Les lendemains de victoire 

Il ne restera à Eiffel qu’à batailler pour que sa tour ne soit pas démontée, comme c’était prévu, et il y parviendra, comme chacun sait. Et à se défendre d’un scandale. Lorsque le scandale du canal de Panama éclate, Eiffel, qui y participait, est ciblé. Bien que participant au projet, il est innocent de l’escroquerie qui est au cœur de l’affaire du scandale de Panama. Directement impliqué par la corruption de ses députés (qui ont encouragé les Français à investir dans une entreprise qui fit faillite, provoquant la ruine et le suicide de nombreux épargnants), le pouvoir politique cherche des boucs-émissaires dans la société civile. Eiffel est condamné une première fois pour abus de confiance, les rues qui portaient son nom sont débaptisées … Le jugement est logiquement annulé par la Cour de cassation. Mais pour Eiffel, la blessure restera profonde jusqu’à la fin de sa vie. Il se retire du monde des affaires mais ne reste pas inactif pour autant. Il continue de se consacrer à de nombreuses études pionnières et méconnues. C’est dans ce contexte qu’Eiffel rencontre un autre esprit brillant, le capitaine Gustave Ferrié, ardent promoteur de la télégraphie sans fils qu’il sait être l’avenir des communications. À une époque où l’État-major français communique très bien avec ses pigeons voyageurs et n’attribue aucun soutien financier au capitaine … Comme quoi ! Le mépris des élites françaises pour les talents ne date guère de notre temps où les jeunes inventeurs fuient aux États-Unis pour trouver des conditions de travail dignes et ou simplement … de l’intérêt ! Ferrié considère la tour comme une antenne formidable pour entrer en contact avec les garnisons de l’Est de la France, face à l’Allemagne. La tour prend un intérêt stratégique de première importance. C’est le moyen ultime de sauver la tour du démantèlement. Et effectivement, durant toute la durée de la Grande guerre, la Tour Eiffel servira d’antenne géante pour les communications militaires. 

Eiffel se sert aussi de sa tour comme d’un laboratoire, en réalisant des expériences qui en font un pionnier oublié de l’aéronautique. Il continue de se battre contre son ennemi de toujours : le vent. Il installe dans la tour un laboratoire d’étude du vent, l’ancêtre direct de l’aérodynamique. Durant la Grande guerre, il dessine un avion, un monoplan dont la forme doit lui permettre d’aller bien plus vite que les biplans de l’époque, c’est l’ancêtre des avions de chasse … 

Lorsque Gustave Eiffel meurt, en 1923, la hauteur de sa tour reste inégalée depuis 34 ans … Il faudra attendre encore sept années et la construction du Chrysler Building à New-York pour qu’elle soit dépassée, et encore pas de beaucoup puisque le gratte-ciel mesure seulement 19 mètres de plus que la tour française. L’année suivante en revanche, le célèbre Empire State Building détrône définitivement la tour parisienne en culminant à 381 mètres. Les Américains auront mis quarante ans pour rattraper les Français. Aujourd’hui, plus d’une trentaine de tours dans le monde dépassent la française. Mais elle restera pour l’éternité la tour qui aura touché de sa pointe la hauteur mythique des mille pieds.

Quant à Gustave Ferrié, il sera fait grand-croix de la Légion d’honneur … la veille de sa mort ! 

Pourquoi honorer Eiffel et sa tour pour les nationaux ? 

Faudrait-il réduire l’aventure de la tour Eiffel aux basses considérations anti religieuses de Lockroy qui ont contribué à son élévation, ou même aux convictions politiques de son constructeur ? Eiffel était avant tout un ardent patriote, extrêmement désireux de se surpasser pour son pays. Par ailleurs, nous l’avons vu, la tour est devenue un symbole de la grandeur française, aux yeux mêmes des élites aristocratiques de la vieille Europe, qui ont rapidement oublié qu’elle devait célébrer 1789. La tour a dépassé largement ces considérations idéologiques et politiques pour devenir un symbole historique bien plus intéressant. 

Nous présentons succinctement les cinq raisons pour lesquelles les nationaux devraient se réapproprier la tour comme symbole de la grandeur française : 

  • Le symbole politique d’abord. Nous avons évoqué le contexte de déclin qui frappe la France à cette époque, après la défaite de 1870 et l’amputation du territoire national. La tour Eiffel est un symbole que l’énergie et le génie français demeurent même dans les périodes de doutes et de déclin. En réalité, le génie national ne connaît pas d’éclipse, il arrive malheureusement des périodes de notre histoire où ce génie national ne trouve pas les hommes capables de le stimuler et de le révéler. Gustave Eiffel a fait partie de ces meneurs qui ont su, nous l’avons écrit, révélé les talents et uni leurs efforts dans un projet commun. Même réduite, isolée et en période de doutes, la France demeure l’une des plus grandes nations du monde. Son génie reste intact, le seul problème est de trouver les hommes capables d’en fédérer les énergies pour accomplir de grandes choses. 
  • Ensuite, rappeler que le génie d’une nation s’exprime aussi par ses techniciens, ses ingénieurs, et pas seulement à travers l’œuvre des poètes, des écrivains, des artistes, des chefs de guerre ou des hommes d’État. Le peuple français est aussi un extraordinaire terreau d’inventeurs, de concepteurs, d’ingénieurs, de techniciens hors-pairs. Cet aspect du génie national est souvent négligé en France, comme en témoigne l’absence significative d’architecte inhumé au Panthéon, le Temple des Grandes Hommes, en dehors de l’architecte du Panthéon lui-même, Soufflot. L’Association des descendants de Gustave Eiffel (ADGE), qui regroupe ses héritiers et ayant droits, a lancé une demande de panthéonisation de leur ancêtre en mars 2023, restée sans concrétisation à ce jour. Ainsi, l’un des Français les plus célèbres de l’histoire de France, peut-être le plus célèbre avec Napoléon au final, ne verra pas le centenaire de sa mort honoré par l’entrée de sa dépouille dans le Temple des Grands hommes. On a préféré y faire rentrer d’autres personnes, qui avaient sans doute leurs mérites, certes, mais qui peut prétendre que la présence de Joséphine Baker dans ce monument avait plus de légitimité que celle de Gustave Eiffel ? 
  • La tour est aussi devenue un symbole social par le relatif mais notable bon traitement des ouvriers sur le chantier. Malgré deux courtes grèves au cours du chantier, le salaire des ouvriers sur place était supérieur à la moyenne du secteur de l’époque. De surcroît, nous l’avons mentionné, le système de construction mis en place par Eiffel, celui des pièces détachées acheminées en partie assemblée depuis ses ateliers, a permis d’économiser la vie humaine des travailleurs. Le fait qu’un seul ouvrier ait trouvé la mort, et encore par sa seule irresponsabilité sur le chantier de la plus haute tour du monde, en prenant en compte les systèmes de sécurité inexistants et le taux de mortalité des travailleurs sur les chantiers de cette époque, relève d’un véritable exploit dans l’exploit. 
  • La tour a été transformée, un peu malgré elle, en symbole des conflits identitaires qui divisent la société française. Ce sont nos ennemis, par leur bêtise, qui l’ont désigné ainsi, à leurs dépens. En août 2018, le site internet du média franco-algérien « BeurFM » a diffusé la fameuse rumeur d’après laquelle le fer de la tour provenait de mines algériennes, naturellement sans citer aucune source. La fausseté de cette affirmation a été rapidement démontrée, notamment par un historien lui-même algérien nommé Mohammed Salah Boukechour. Mais elle continue d’être régulièrement invoquée par des descendants de l’immigration algérienne. La quasi-totalité du fer provenait de l’usine Fould-Dupont à Pompey, près de Nancy, en Lorraine. Cette rumeur visait évidemment à attaquer le symbole le plus célèbre au monde du génie français. Se faisant, leur attaque s’est retournée contre eux, en montrant que la France n’a jamais eu besoin de l’Algérie pour accomplir cet exploit … 
  • Voici la dernière raison et sans doute aussi le moment incisif de l’article. Le passéisme d’une certaine partie de la droite, ce même passéisme qui la marginalise à l’égard du reste de la population, l’a poussé à rejeter la tour Eiffel comme un méprisable symbole de la modernité honnie … L’impuissance politique et historique d’une posture anti moderne surjouée se révèle ici dans sa gravité. La Modernité ne doit pas être rejetée, mais plutôt domptée. C’est ce qu’Eiffel a réussi à faire, en montrant que la France avait pu rayonner dans le classicisme architectural, mais qu’elle était aussi capable de s’imposer dans la modernité industrielle. La tour d’Eiffel est un message envoyé à une partie de la « droite réac » : la posture qui consiste à rejeter en bloc la Modernité est infertile. Seuls ceux qui trouveront le moyen de la dompter, c’est-à-dire de s’en servir dans le sens de l’intérêt de la France, se donneront par la même occasion le moyen de réussir quelque chose, et de sortir de cette posture esthétique qui n’est qu’une impasse.  

Conclusion 

Une nation, ce sont des gloires militaires, des légendes littéraires, des grands hommes d’État, mais pas seulement. En France, nation littéraire par excellence, on oublie que le génie d’un peuple s’exprime aussi par les exploits du monde plus froid des ingénieurs, des inventeurs et des bâtisseurs. Un peuple a besoin de poésie, mais il a aussi besoin de froides équations pour ériger à la face du monde des symboles physiques de sa grandeur. En un temps où tout est fait pour que les Français doutent d’eux-mêmes, il est grand temps de leur redonner des symboles qui leur rappellent ce que le génie français est capable d’accomplir. La tour doit être rendue comme symbole au peuple français, avant d’appartenir aux touristes du monde entier. La tour Eiffel doit rappeler aux Français qu’ils sont capables, quand ils le veulent, de toucher le ciel. 

Baptiste DEGRUNE

Sources externes

  • Le remarquable documentaire d’Arte intitulé « Eiffel, la guerre des tours », documentaire de Mathieu Schwartz (France, 2023, 1h33mn). 
  • Le n°923 (novembre 2023) de la revue Historia, intitulé Le magicien du fer, Gustave Eiffel
  • Biographie de Gustave Eiffel par Sylvain Yeatman-Eiffel, Eiffel, collection « Qui suis-je », éditions Pardès, Grez-sur-Loing, 2017, 127 pages. 
  • Article complet sur la fausse polémique de l’origine du fer de la tour, sur le site ObserAlgérie.com, intitulée « France ou Algérie ? Quelle est l’origine du fer de la Tour Eiffel ? » par Aylan Afir : https://observalgerie.com/2022/08/21/societe/origine-fer-tour-eiffel/#Gustave_Eiffel_a_choisi_le_fer_algerien_pour_sa_purete_vrai_ou_faux

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