Chers amis, compagnons, camarades,
Chaque année, par un matin souvent pluvieux de Novembre, sous un soleil incertain nous nous retrouvons.
Les hommages se suivent et pourtant, ils ne se ressemblent pas.
L’année dernière encore, derrière la gravité des visages et les chants puissants entonnés par des voix engourdies, planait encore un sentiment d’espoir. Espoir que l’échéance à venir ne serait pas pour rien, espoir que les choses changeraient, espoir que nous méritions encore le sacrifice de nos poilus.
Une année a passé et malgré des percées certaines, cette année ce sentiment n’est plus le même.
Les hommages se succèdent sans se ressembler disais-je car cette année pointe sur nous l’inquiétude, l’incertitude. Incertitude, sur le fait de pouvoir nous chauffer lors des nuits d’hiver, de pouvoir nous nourrir ou nourrir notre famille, incertitude surtout de pouvoir sortir en paix dans la rue. Incertitude enfin, de voir revenir de l’école nos sœurs, nos nièces et nos cousines vivantes.
L’incertitude, voilà bien ce sentiment qui dominait également dans les tranchées de d’Ypres au Jura. Oh certes, me direz-vous, comment pourrions nous comparer ? En effet, leur incertitude était de survivre au prochain bombardement. Incertitude de recevoir la nourriture, l’eau et le vin indispensables pour tenir. Incertitude de revenir d’un assaut sans être traversé par des balles ou des orages d’acier. Incertitude de revoir ses camarades en vie après l’attaque et la mêlée. Incertitude de resserrer encore l’être aimé ou d’embrasser une dernière fois ses enfants.
Chaque année les hommages se succèdent et chaque année nous recherchons dans les phrases des livres, comme dans le grès des statues et leur face immobile, comment comprendre, comment entendre, comment ressentir de qu’a été cette épreuve de la Grande Guerre.
A ce sujet, laissez moi vous donner une anecdote personnelle.
Ma grand-mère me racontait encore que sa mère, mon arrière-grand-mère, petite fille de Moselle dans l’hiver glacial de 1916 avait vu la bataille de Verdun. Plus précisément, elle l’avait entendue, depuis son village perclus de glace et de disette, elle avait entendu le son lancinant des canons qui frappaient les forts et les hommes aux noms depuis si bien connus de la patrie : le fort de Vaux, de Douaumont, la tranchée des baïonnettes, le colonel Driant et ses chasseurs à pied.
Chers camarades je crois que nous sommes un peu comme mon arrière grand mère.
Nous cherchons, en regardant les figures grises des statues, en relisant les phrases terribles des Croix de Bois, à entendre le lancinant roulis des obus qui frappent la terre meuble de champagne. Par ce biais, nous tentons désespérément d’entendre et de voir. Voir le spectacle stupéfiant d’une pluie d’obus, entendre le cri des blessés et le crépitement des balles de mitrailleuses. Se tenir dans le silence de la mort.
Ne pouvant entendre, ne pouvant plus comprendre alors que les seuls témoins qui nous restent – des croix blanches immaculées au gré des collines de Lorraine et des pages imprimées – nous ne pouvons que nous incliner. Et nous incliner bien bas devant la mémoire de nos pères et de tous nos soldats tombés depuis lors, et dont la mémoire est désormais éternelle.
Ainsi, nous ne sommes pas ici pour remuer les démons du passé. Nous ne sommes pas ici pour nous féliciter d’avoir vaincu un peuple voisin au prix d’une boucherie sanglante et sans doute inutile. Mais demeure à la fin, le sentiment vertigineux d’avoir, malgré tout, triomphé.
Ces hommages se succèdent et ne se ressemblent pas.
En effet, aujourd’hui nous sentons comme une atmosphère étrange. Là bas, à quelques milliers de kilomètres, le même drame se rejoue, des peuples réputés ennemis mais ayant tant de choses en commun poussés par des dirigeants coupables, s’égorgent dans des tranchées et dans la boue.
Les leçons du passé ne semblent pas avoir été apprises, et le sang coule encore entre peuple frère dans un coin de l’Europe.
Ici même il coule. Je ne rappellerai pas les multiples drames, la liste bien trop longue de faits divers qui n’en sont pas. Je ne rappellerai pas la liste morbide de drames aux scénarios identiques comme les visages des innocents disparus, des français assassinés. Je ne rappellerai pas la rage qui anime chacun d’entre nous, devant un système qui nie notre souffrance et qui nous laisse croupir, sans militantisme et sans camaraderie, dans une rancœur souvent inféconde et parfois dangereuse.
Non, les hommages se succèdent et ils se ressemblent sur un point.
Chaque année nous nous rappelons la force du sacrifice, chaque année nous nous souvenons de la grandeur de la victoire, chaque année le soleil de novembre irise nos yeux larmoyants des rayons de la gloire.
Ainsi, encore une fois, remémorons-nous que d’autres avant connurent la peur, l’incertitude et le découragement devant des forces qui semblaient inexpugnables, devant un poids qui semblait trop lourd, devant un coût qui ne se valait pas.
Inspirons-nous de leur exemple, ne cédons pas aux faiblesses faciles ou aux promesses chantantes.
Tenons nous droits, encore, comme ils se tenaient en ce matin même à 11h, sortant des trous à l’appel du clairon dans lesquels ils avaient croupis 4 longues années durant.
Tissons encore ce lien éternel entre les français d’hier, d’aujourd’hui et de demain, et promettons nous encore ici et à cette heure, que nous ne laisserons pas choir la terre de nos ancêtres. Une fois de plus, répétons le dernier cri, qu’entendaient nos aïeux avant d’escalader le parapet de leur destin :
En avant,
Et vive la France !