Anciens militants ou compagnons de route de La Cocarde Étudiante, ils sont aujourd’hui professeurs dans l’enseignement secondaire et souhaitaient s’exprimer suite à la mort tragique de Samuel Paty. Nous relayons leur tribune.
Cette histoire n’est pas un fait divers. C’est l’histoire d’un assassinat. C’est l’histoire d’un acte terroriste spectaculaire dans sa barbarie. C’est aussi l’histoire d’un drame national. Et ce drame atteint l’éducation en son cœur.
C’est d’abord l’histoire d’une sécession qui a fini par atteindre la fonction publique. Des enseignants qui ne peuvent pas enseigner l’histoire quand elle contrevient au récit coranique, les sciences naturelles quand elles atteignent ses principes révélés, ou la
littérature et les arts quand leur culture légère, amoureuse, ironique et galante entravent la loi islamique.
C’est l’histoire, si souvent racontée et aussitôt dissimulée, d’une intégration qui ne s’est pas faite et d’une jeunesse hystérisée par les discours islamistes comme par son passé mythifié d’esclave ou d’indigène.
C’est aussi l’histoire des témoins passifs et complices du drame qui, à tout niveau de responsabilité, ont consenti, les uns par passion idéologique, les autres par lâcheté ou esprit de corps, certains enfin par naïveté, à laisser mourir un fonctionnaire.
C’est l’histoire du président de la FCPE , première association des fameux « parents d’élèves », qui a entendu des « plaintes », constatant « l’énervement » de ces parents quand l’un d’eux insultait l’enseignant en appelant à son renvoi.
C’est l’histoire des plus bruyants de ces parents, dont les désirs, caprices et fantasmes font aujourd’hui la loi dans les établissements ; alors que leurs débuts dans la « communauté éducative » faisaient intervenir quelques associatif et que l’on voit aujourd’hui arriver les grands-frères, caïds religieux et « mamans » voilées.
C’est l’histoire d’un lynchage qu’ils ont eux-mêmes orchestré. En diffusant l’identité de l’enseignant sur internet, en appelant le CCIF à la rescousse, en exigeant sa démission ou sa tête et en mettant par inconscience ou perversité, sa vie en danger.
C’est l’histoire de risques qui ont été signalés, d’une plainte déposée par l’enseignant, de courriers envoyés à ses supérieurs ; d’un appel à l’aide et d’une aide qui n’est pas venue.
C’est l’histoire qui reste encore à écrire, d’une administration qui est restée sourde aux risques que courait un de ses agents.
Cette histoire que nous connaissons tous. Nous l’avons pour la plupart constatée, subie ou vécue. C’est toute l’histoire de la fonction publique et de ce qu’elle est devenue.
C’est le refus d’assumer une quelconque responsabilité. C’est l’inconsciente et sourde lâcheté qui murmure ses paroles apaisantes : « si je ne suis responsable de rien, alors, je ne risque rien. »
C’est l’histoire d’une affaire qui en « remontant », s’enfonce paradoxalement dans les sables administratifs et qui, à tous niveaux, fait des lâches des complices.
C’est l’histoire du proviseur qui exige « le pas de vague » et si vague il y a – se défausse sur sa hiérarchie, l’inspecteur d’académie, qui lui-même se défausse sur le recteur lequel se défausse sur le ministre.
C’est l’histoire d’un agent qui se retrouve tout seul en fin de compte ; accablé par tous, soutenu par personne ; responsable quoiqu’il fasse, livré à son agresseur dans un face-à-face perdu d’avance.
Cette histoire n’est pas finie. Elle aura encore le temps d’être écrite , réécrite et déformée. Bientôt, ce ne sera plus que l’histoire d’un « agresseur qui ne posait jamais de problèmes » dont « l’acte a surpris tout le monde » et de voisins qui voyaient en lui un ange.
L’histoire de censeurs médiatiques, associatifs et institutionnels qui constateront un fait divers, consentiront aux larmes de crocodile, préviendront contre « la récupération politique », commanderont « le silence », « le recueillement » et enfin l’oubli.
L’histoire d’une réalité que l’on va travestir, recouvrir sous l’apparence d’acronymes, d’études pour dire que tout-va-bien ; de faux-semblants, d’artifices rectoraux, de réunions de conciliations, de journées de formation, d’outils mis à disposition, abécédaires laïcité ou théodules que l’on rallongera urgemment de 50 pages.
Mais cette histoire, nous ne l’oublierons pas. Les risques et entraves à l’exercice de notre métier en font le quotidien. Sous des apparences diverses, ils nous placent devant les mêmes réalités : un nouveau public, des interférences extérieures, la lâcheté ou l’hostilité de la hiérarchie.
L’histoire, elle, n’oubliera pas ces lâchetés. Elle ne refusera pas de mettre les mots qui conviennent sur les choses ; de dire bêtement des vérités bêtes ou simplement des vérités simples. Et moins encore de juger une société qui refuse de regarder en face ce qu’elle est devenue.