Persiflez, persiflez, il en restera toujours quelque chose…
Toutes les universités sont donc fermées jusqu’à nouvel ordre depuis lundi 16 Mars. Cela, au grand dam des rats de bibliothèques, qui écument les galeries de livres à la recherche de la perle rare, les yeux grands ouverts, comme les enfants gourmands qui se pavanent dans les rayons de confiseries. Quelle joie de se promener parmi toutes les friandises, calissons, nougats et fruits confits. Attirance semblable à celle que peut ressentir l’abeille pour toutes ces fleurs sublimes et bigarrées. Finalement tout change et rien ne change, l’adulte que je suis conserve le même émerveillement pour l’éclat, les couleurs et la brillance que l’enfant que je fus. Les livres ont remplacé les friandises. Ils sont hermétiques, et au dehors rien ne brille, même ouvert, on n’y voit que l’enchaînement stérile des lettres. Mais derrière il y a l’esprit, et l’esprit brille de mille feux. Nihil novi sub sole.
Au-delà de la détresse, le confinement apporte son lot de satisfactions. D’abord celle de ne plus croiser le dragueur de la BU, tout sourire, jambes croisées, bon chic bon genre. Sa vue impeccable, un bon dix sur dix, lui permet de guetter ses proies féminines avec une grande acuité, en physionomiste, de repérer les failles, les traits de caractère susceptibles de lui offrir une brèche royale vers la conquête féminine. Son acuité aurait pu lui être utile dans le cadre d’un examen de conscience ou d’une introspection et malgré ses capacités visuelles, il appartient à la catégorie des mauvais chasseurs. En effet, celui-ci accumule les échecs, les refus, en somme c’est un familier de la friendzone. Il n’a rien du mâle alpha, du D’Artagnan, du Cyrano, il n’a ni les couilles, ni la poésie, il a l’apparence du charme et n’inspire aux femmes que du dédain, c’est un repoussoir. Tout dans sa posture, dans son regard le trahit, il est « le dragueur », enfermé dans son archétype comme un personnage de Plaute. Drôle, risible, et tellement prévisible. Étudiant engagé, membre actif du BDE, adepte des soirées mousse. L3, et ce depuis 3 ans, il accoste toutes les L1 fraîchement débarquées du lycée et nouvellement nubiles en se faisant le guide de ces dames dans ce dédale qu’est le campus universitaire. Malgré sa bonne vue, il arbore des lunettes, qu’il fait parfois coulisser de bas en haut, comme une étoffe, voilà le maigre résumé de sa geste esthétique. Jadis les falbalas et les fibules étaient le propre des demoiselles ou des comédiens, mais aujourd’hui notre dragueur s’en sert comme d’un marqueur social pour se donner un genre intello. Il décolle de temps en temps les yeux de son bouquin, les lève au plafond l’air songeur, les sourcils froncés. Il esquisse une grimace, tentant ainsi de mimer l’effort intellectuel que procure une lecture hardie … Mais son visage n’est qu’un théâtre, une farce dont nous sommes les spectateurs… Matamore, Tartarin, Bluffeur.
Dans le même registre, et tout aussi « séducteur », il y a le fayot du chargé de TD, qui s’agglutine à lui dès la sortie du cours comme une mouche sur le pot de miel, lui donnant du « môsieur ». Et le voilà qui se sent exister. Le plus dramatique dans tout ça c’est qu’il pense pouvoir monter dans l’organigramme fictif et virtuel de sa promotion bas de gamme, par l’intermédiaire du poste non rémunéré de lèche-bottes officiel, flatteur invétéré, bouffon du roi. Il n’est pas brillant, et la seule chose qu’il maîtrise c’est l’art des courbettes, du plat- ventre et des acrobaties.
Quelle souffrance aussi de ne plus voir les étudiantes post-pubères, mignonnes, coiffées, apprêtées. Toujours assises au premier rang, non pas pour suivre le cours avec assiduité, mais pour être au cœur du spectacle. Elles, qui fantasment sur le beau gosse trentenaire, aux cheveux brossés et à la barbe de 3 jours. Il est chargé de TD de littérature romantique, et prépare une thèse sur la figure du dandy dans le roman du XIXème…. Celui-ci leur parlait si bien de littérature, avec une légèreté et une facilité volubile qu’elles s’étaient, non pas mises en tête de lire Hugo, Balzac, Anatole France, Proust et Barbey d’Aurevilly, comme elles auraient dû, mais plutôt de s’imaginer dans la peau de l’héroïne romanesque, déambulant les grands boulevards au bras du gentilhomme, cheveux au vent. Leurs deux silhouettes s’éloignent peu à peu, pour finalement disparaître complètement dans le plus simple appareil, comme le soleil qui coulisse à l’horizon. C’est beau, sauf que ça n’existe pas.
Bref, les universités sont fermées, notre sentiment est mitigé, ambigu et paradoxal ; nous sommes tristes de ne plus pouvoir mettre le nez dehors et heureux de ne plus subir le pire de l’interaction sociale. Tristesse et Joie jaillissent d’un même puits. Plus de CM ennuyeux sur les pièces de théâtre de Samuel Beckett, où le maître de conférences pourtant expérimenté et brillant cherche tant bien que mal une cohérence métaphysique dans une nébuleuse diaphane. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin, c’est une perspective ambitieuse mais inutile. Surtout que, quand on cherche on trouve, et on trouve toujours ce que l’on est venu chercher. Fin du monde, confinement, Fin de partie.
Court répit accordé, on ne souffrira plus de l’étudiant bébête, dont les questions fleuves qui ponctuent chaque cours ne sont pas mues par une curiosité saine mais sont simplement là pour attirer l’attention sur sa petite personne, empêchant ainsi, les étudiants sincères et curieux de creuser leurs propres sillons, ce qui ferait avancer le cheminement du cours. L’horreur de l’université…c’est beaucoup de pots, et très peu de confiture disait le Docteur Des Touches.
Mais le pire dans ce confinement, pour nous autres étudiants, reste que nous ne pourrons plus flâner de bar en bar pour boire quelques pintes entre camarades et faire la discussion à des femmes plus âgées, auprès desquelles nous mentions sur notre curriculum vitae et sur notre âge. After works et happy hours ne sont désormais plus que des souvenirs évanouis. Des ruines, du sang et des larmes, on est loin de la mélancolie du XIX ème siècle, c’est bas, mais c’est nos vies. Que faire? disait Lénine ! Ah les heures joyeuses semblent déjà si loin !
Les blocages enfin « coronnés » de succès.
Le SARS-CoV-2, un si petit être de 125 nanomètres, a donc réussi à faire dérailler la planète de son orbite, et par la même occasion à devancer les plans funestes des faquins et fripons qui pullulent sur nos campus. L’efficacité n’est donc pas une question de nombre, souvenez-vous de la bataille de Bouvines…. AGEPS, Solidaires, l’UNEF et les autres associations de malfaiteurs n’ont donc plus de raison d’être, les universités étant condamnées, la saison 2019/2020 des blocages qui avait pourtant bien commencé s’achève, et toutes ces associations étudiantes partent en retraite anticipée. Plus d’universités, plus de blocages. Nous sommes confinés, cloîtrés, l’ennemi est en boîte, Ferrand te voilà Ferré !
Le militant de l’UNEF a un agenda, et il le respecte scrupuleusement, il est discipliné. Son cursus universitaire n’est pas sa grande préoccupation, comprenez-le ; il n’est soucieux ni de ses intérêts propres, ni de son avenir. Non son avenir est trop petit, il voit plus grand. Il est pétri d’Histoire, et pas n’importe laquelle, l’Histoire qui nous transcende, celle qui nous rappelle que nous sommes les fruits des actes héroïques de nos lointains ancêtres, celle qui nous motive chaque matin. 1789, la Commune, la révolution bolchévique, le Front populaire, Mai soixante-huit. Voilà le zéphyr qui le porte, el famoso révolutionnaire ! Son levier d’action sur le monde ? Le blocage de la fac ! Son calendrier ? Organiser chaque année au moins deux AG. , trouver les meilleurs prétextes pour manifester la colère de la jeunesse engagée ! L’AG est un lieu particulier, un temple de la subversion, de la démocratie et de la rébellion. Une agora moderne, où la jeunesse brimée s’exprime enfin et brise ses chaînes ! On y respire les effluves du jeu de Paume. Les fantômes ressurgissent quand on monte à la tribune ! Un vent de révolte souffle sur le campus, j’en ressens les frissons…C’est l’ombre de Robespierre qui plane au-dessus des sots.
Amis lecteurs, veuillez m’excuser d’emprunter ici un ton satirique par ces temps durs où l’abîme nous guette. Mais nous avons cru la gaudriole utile pour soigner nos maux. Le rire inoculé aurait-il des vertus thérapeutiques ? Non pas pour guérir de la maladie qui se répand comme la peste, mais pour combattre l’ennui et la répétition de ces journées confinées. Propre à la théorie de notre Rabelais national, la gélothérapie renferme – nous le croyons – des secrets sous l’écorce. Elle permet de faire éclater certaines vérités alors recouvertes de vernis. Restons alertes, et hilares. Et souvenons-nous des mots de Bergson : « Il y a des caricatures plus ressemblantes que des portraits. »
Paul Imat