Le 27 novembre est paru dans « Libération » une tribune signée par un collectif d’enseignants-chercheurs et de doctorants en droit et en sciences politiques. Ils y dénonçaient la précarisation croissante de l’université et la dégradation des conditions d’enseignement, phénomène particulièrement sensible dans leurs facultés. Restrictions budgétaires, gel des postes, sous-encadrement des étudiants, jeunes doctorants sous-payés, les conséquences des réformes d’austérité successives sont de plus en plus insupportables. Déjà appuyée par cinq cents signatures au moment de sa parution, cette tribune en compte actuellement plus de huit cents. Le collectif s’y engage à faire entendre sa voix lors des manifestations du 5 décembre, et appelle de ses vœux la création d’un mouvement d’ampleur autour de cette cause.
L’université: un îlot de savoir…
Pour réaliser pleinement la gravité des attaques que subit actuellement l’université, il faut commencer par comprendre ce qu’elle est réellement, et pourquoi sa mission est bien différente de celle d’une simple école, ou pire, d’une entreprise de formation. Notre université est directement héritière de l’idéal humaniste qui habitait Wilhelm et Alexandre von Humboldt, lorsqu’ils fondèrent l’université de Berlin, en 1810. Dans leur esprit, celle-ci devait permettre à l’homme souhaitant y étudier de s’émanciper et de réaliser pleinement son humanité, au-delà de sa condition sociale. Il ne s’agissait pas de concevoir une usine à fabriquer des diplômés, mais de créer un véritable îlot de savoir, où les enseignants seraient libres de leurs enseignements, et les étudiants libres du choix de leurs enseignants et des disciplines étudiées. C’est de cet idéal que découle la grande accessibilité de l’université française, et sa division en vastes domaines dédiés à la recherche et au partage des connaissances, plutôt qu’en filières purement professionnalisantes.
…en marge de l’utilitarisme libéral.
Seulement, à une époque où tout n’est plus évalué que par les prismes de l’utilitarisme et de la rentabilité, et où les décisions les plus importantes sont prises par des technocrates issus d’écoles de management, qui, tel des borgnes à la vue monochromatique, sont incapables de voir en la société autre chose qu’un agglomérat d’entreprises à faire fructifier, il semble normal que l’université paraisse être un régime d’exception incompréhensible et insupportable. Et les chercheurs se trouvent bien en peine d’expliquer à des gestionnaires étrangers à leur travail pourquoi ils ne peuvent avoir la garantie d’un retour sur investissement, la recherche et ses débouchés étant par nature imprévisibles. Cette logique du profit et de la limitation des risques devient même un frein terrible à l’innovation, l’exploration et la pensée disruptive, qui sont pourtant indispensables aux réelles innovations scientifiques, mais conduisent aussi bien souvent à des impasses.
À long, voir à moyen terme, l’Université risque tout simplement de mourir, en cessant d’être elle-même. Le nom sera toujours là, mais l’essence aura disparue.
Pour ces raisons, La Cocarde Etudiante s’oppose à la précarisation des facultés de droit et de science politique et à la « rationalisation » de l’Université dans son ensemble, et se fait le relais du cri d’alarme des enseignants-chercheurs.
Cependant, nous maintenons notre opposition à toute forme de blocage ou de dégradation des universités, car nous pensons qu’empêcher le fonctionnement normal de l’Université et provoquer une dévaluation des diplômes est une façon bien paradoxale et contre-productive de la défendre. Nous valorisons plutôt l’engagement militant et la conscientisation des étudiants, et comptons amener par la voie du scrutin des représentants de plus en plus nombreux au sein des cercles de direction, afin d’y défendre notre vision de l’Université.