Les Misérables de Ladj Ly
(2019)/IMDB
Par ces temps de confinement, quoi de mieux qu’un bon film pour se changer les idées. Dans son malheur, la France a vu mettre à sa disposition pléthore de programmes télévisés pourvu qu’elle reste chez elle. Si les grandes chaînes jouent la carte des grands classiques (La Grande Vadrouille, Les tontons flingueurs…), c’est un film en accès VOD qui a attiré l’attention de La Cocarde Étudiante cette semaine : Les Misérables de Ladj Ly, couronné de quatre Césars dont celui du meilleur film, vaut-il le coup d’être vu ? La Cocarde vous répond !
(Si vous avez manqué le début… : L’intrigue se situe à Montfermeil (Seine-Saint-Denis) à l’été 2018. Le spectateur y suit le quotidien d’une patrouille de la BAC composée de deux agents aguerris (Chris et Gwada) et d’une recrue, Stéphane. Peu à peu, le « nouveau » découvre les enjeux de la mission de maintien de l’ordre dans une cité.)
Un nouveau film pro-banlieues
Pour son premier long-métrage, Ladj Ly revient à la bonne vieille recette du docu-fiction sur les banlieues. À l’instar de « La Haine » de Mathieu Kassovitz (1995), le film montre les relations souvent tendues entre les habitants d’un quartier difficile et les forces de l’ordre, mais en nous offrant chacun des deux « points-de-vue ». Les affaires de bavures policières en banlieue s’étant multipliées ces dernières années, il est intéressant de voir ce qu’il en est réellement sur le terrain et comment de tels actes se produisent. Dès le début du film, le spectateur comprend qu’il existe bel et bien deux mondes. Si les premières images nous ramènent au soir de la finale de la dernière Coupe du monde de football et nous rappellent la communion populaire des Français, le hurlement « Nique la France » au passage de la voiture de police suggère que l’union patriotique est révolue.
Après une première partie de film décrivant les habitudes des trois seuls policiers du secteur (en effet, il n’est que très rarement question de hiérarchie ou de renfort), l’intrigue prend un tout autre sens lorsque survient la bavure tant attendue. Après avoir réussi à mettre un terme à une altercation entre Gitans et habitants de la cité, les trois agents de la BAC se mettent en chasse d’un jeune individu ayant commis un délit. Alors que son interpellation provoque de nouvelles tensions, un des policiers tire au flashball sur l’enfant, le blessant grièvement. La suite du film nous montre comment les trois coupables vont faire pour se tirer d’affaire et éviter que toutes les banlieues de France et de Navarre ne s’enflamment.
Comme toujours, la position victimaire de la banlieue est au rendez-vous. Ladj Ly nous montre la commune de Montfermeil comme une cour d’école : certains habitants sont “sans histoire”, d’autres un peu turbulents, tandis que d’autres enfin sont sages comme les imams salafistes. En effet, ces derniers apaisent les tensions, au point où l’on se demande s’ils ne pourraient pas se substituer à la police. Cette dernière, justement, est dépeinte quant à elle comme immature, gaffeuse, en proie aux tendances tyranniques et surtout incapable de comprendre les enjeux du monde qui l’entoure. Finalement, seule la loi du talion pourra ramener l’ordre dans le quartier.
Une mayonnaise qui ne prend plus
En 1995, la France entière était en émoi devant le film de Kassovitz. Il faut dire que le spectre de Malik Oussekine planait encore sur l’Hexagone. Les policiers y étaient décrits tantôt comme des Terminator luttant contre des hordes d’individus masqués soucieux de défendre le droit à la sécurité, tantôt comme des inspecteurs pervers aux méthodes fascistes. Vingt-trois ans plus tard, Ladj Ly décide d’en remettre une couche et nous gratifie d’un splendide copier-coller, tant en termes d’écriture de scénario que d’ambiance et bien sûr de morale. Les affaires Zyed et Bouna, d’une part, et Adama Traoré de l’autre, apportent quant à elles du crédit à la thèse de Kassovitz : la France a imposé l’apartheid dans ces « ghettos » et ses sbires en tuent les habitants pour rappeler à la masse qu’elle les domine. Rajoutez-y un soupçon d’émergence de l’islam radical et vous obtenez « La Haine 2: évolution ».
Mais dans la France de 2020, avec la multiplication des attentats, des « incivilités » en tout genre et d’autres « problèmes » liés à l’immigration massive, le plaidoyer en faveur de la banlieue a de plus en plus de mal à passer. Même les jusqu’au-boutistes de la bien-pensance semblent désarçonnés lorsqu’ils apprennent que le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur annonce que le respect du confinement « n’est pas une priorité » en banlieue car cela pourrait mener à des émeutes. Quant au mythe Black-Blanc-Beur imaginé par Kassovitz, plus personne n’y croit en France, excepté peut-être dans quelques facultés reculées.
D’autre part, le Grand remplacement a déjà fait son oeuvre au sein du milieu cinématographique, puisque Kassovitz et Cassel (https://www.lefigaro.fr/cinema/ceremonie-cesar/le-plus-hypocrite-de-tous-said-taghmaoui-s-attaque-a-vincent-cassel-le-negrophile-20200303) ont été priés d’arrêter de défendre les causes de populations auxquelles ils n’appartiennent pas.
Parole au terrain
Lorsque Ladj Ly écrit et tourne son film dans le quartier de son enfance, il entend bien montrer un petit village d’irréductibles gaulois résistant encore et toujours à l’envahisseur français. Car c’est là l’une des leçons du film : la France ne comprend définitivement pas la banlieue. Mais le message est tourné d’une telle façon qu’il suggère que la France ne comprend pas plus la banlieue qu’elle ne comprenait l’Indochine post-1945 ou l’Algérie en cette fin d’année 1954. Une phrase prononcée par une habitante d’un HLM prend alors tout son sens au moment où elle raccompagne nos trois policiers alors qu’ils opéraient un contrôle : « Vous n’êtes pas chez vous ici ». Idem lorsqu’une habitante du quartier répond au policier d’origine africaine dans un dialecte afin que les deux autres ne comprennent pas.
Alors que le film touche à sa fin sur un rythme de moins en moins soutenu, le spectateur s’égare jusqu’à se demander d’où vient ce titre des Misérables si ce n’est du fait que Victor Hugo ait rédigé son célèbre roman à Montfermeil ? C’est alors qu’il est rappelé à la réalité par une scène digne de La Chute du faucon noir. Il comprend comment surviennent les bavures policières et ce qui rend les agents dépêchés en banlieues si tendus. Il se rend compte aussi que les théories complotistes de personnages comme Laurent Obertone ou encore Éric Zemmour n’en sont pas. Du fond de son canapé, il prend part au combat pour la survie de nos trois héros, dont l’un a le crâne dégoulinant de sang suite à un jet de bouteille. Il tremble autant qu’eux lorsque s’avance dans la foule haineuse un assaillant tenant entre ses mains un cocktail molotov qu’il s’apprête à jeter sur les trois policiers cernés, dos au mur, en attente de renfort. Le film se termine ainsi, et à Ladj Ly de tous nous questionner avec une citation de Victor Hugo autour de la méchanceté.
Qu’en retenir ?
Les Misérables est un grand film d’anticipation en ce qu’il montre ce que la France risque de devenir dans quelques années, quelques décennies au mieux. Les Misérables est aussi un bon film de guerre en ce qu’il explique comment une population locale essaye de se débarrasser d’une force armée étrangère. Les Misérables est en revanche un mauvais film en ce qu’il cherche à faire pleurer dans les chaumières sur le sort des pauvres banlieusards. Cependant, il a atteint son objectif d’être le grand gagnant des Césars 2020 car flattant le politiquement correct à la perfection. Car il n’en fallait pas plus à une Académie des Césars trop concentrée sur la question de séparer l’artiste Polanski de son oeuvre. Sur scène, lors de la remise du prix récompensant le meilleur film, Ladj Ly a parlé d’une France désunie qui doit se retrouver en mettant de côté ses petites querelles internes afin d’avancer. Au terme de la soirée, le réalisateur et son équipe ont fêté leurs récompenses dans une boîte de nuit en entonnant « Fuck le 17 » du groupe de rap 13 Block. Ladj Ly n’en demeure pas moins un grand réalisateur. N’oublions pas que le cinéma doit vendre du rêve au spectateur. Et, dans ce domaine, celui qui fut condamné pour complicité d’enlèvement et menaces sur personnes dépositaire de l’autorité excelle.